Sofia Beliakov
Publié : 24 oct. 2020, 16:46
Sofia,
"L'ordre est une tranquillité violente"
Sofia Beliakov |
✒ Age : Elle est née un matin froid de printemps en 1765. Ses pas ont donc longé la Neva durant 255 longues années.
✒ Groupe : Oligarque
✒ Son métier, son statut social : Officiellement, consultante en affaires publiques.
Concept du personnage |
Une pute dont le corps projeté du haut d’un dixième étage avait éclaboussé deux amoureux transis en route vers la Galerie Gostiny Dvor. Sofia balaya du regard le dossier dispersé sur le secrétaire d’acajou dont elle avait fait acquisition grâce aux délicieux honoraires accordés par une Sire dont l’infant avait planté ses crocs dans la mauvaise chair : En plus du couple, quatre témoins connus et une enquête policière s’enlisant sous la bureaucratie et le manque d’effectifs. Pas la première frasque du fautif, mais la frasque de trop. Une photographie du cadavre avait été glissée comme marque-page, l’œil intact et vitreux de la prostituée se noyant dans les taches de vin qu’elle avait renversé la veille. Une excellente bouteille avec un arôme sanguin capiteux. Il lui faudrait se rappeler d’envoyer une carte de remerciement au silovik qui lui en avait fait présent.
« Vous allez arranger ça ? C’est votre job, non ? Vous êtes une… une consultante ou une sorte de nettoyeuse professionnelle ? »
Le doute suintait entre deux soubresauts de gémissements ponctués d’une supplication calculée. Sofia retint un feulement par un rictus mécanique et sec. À chaque mouvement de tête, de la poudre farineuse s’échappait du collet du garçon, du Svetchi. De ses pupilles dilatées, il la jaugeait, la testait, un prédateur léchant ses plaies tout en comparant les rumeurs friandes à la réalité se dressant devant lui. Une rareté dans sa tour d’ivoire. Des traits trop jeunes, trop fins, trop féminins pour la réputation carnassière drapant ses épaules gracieuses. Des traits pétrifiés dans le marbre.
« Je ne nettoie pas, j’assure l’Ordre. J’assure le respect de Règles plus vielles que vous et moi. »
Préserver le Voile. Préserver le Pouvoir giclant en grosses gouttes carmines de l’Obscurité. Quitte à graisser la patte de flics, de juges et de politiciens trop curieux, d’effacer des preuves compromettantes, de faire disparaître des témoins à la langue pendue, à jouer du coude avec des bureaucrates excessifs ou à remplir une montagne de paperasse soporifique.
Sofia lui tendit sa main délicatement manucurée.
« Mon équipe et moi, nous nous ferons un plaisir de vous aider. Votre cas sera réglé dans les plus brefs délais. Les tributs doivent toutefois être réglés à l’avance, en espèces de préférence, une question d’assurance. Mais, après tout, la discrétion n’a pas de prix, n’est-ce pas ? »
Vampire Kontakte |
Sofia prit l’enveloppe tendue et compta silencieusement les billets qu’elle contenait avant de la laisser choir dans un classeur entrouvert. Une enveloppe parmi d’autres.
« Entre autres. Des clients, des victimes et des idiots. »
Elle extirpa son pistolet avant d’en presser la détente d’un index assuré ; la balle traversa le crâne sans difficulté avant de se loger dans le mur. Après avoir remis l’arme à sa place et épongé les résidus d’un mouchoir, elle pressa la première touche de l’intercom.
« Anya. J’ai besoin d’une équipe dans le bureau Est. »
La tête de son assistante apparut dans l’embrasure de la porte.
« Déjà sur le coup, madame. Pardonnez-moi l’indiscrétion, mais il est plutôt rare que vous remplissiez vous-même la requête d’un client. Doit-on considérer des mesures spéciales ? »
Sofia soupira avant de consulter son agenda. Elle avait trente minutes avant son prochain rendez-vous, juste assez de temps pour consulter VK avec une tasse de café frais. C’était plus simple quand il suffisait de faire disparaître les désagréments dans un goulag. À présent, il lui fallait toute une équipe technique pour couvrir ses traces ou celles de ses contacts. Même les chiottes des bars miteux avaient des caméras.
« Non. Procédure habituelle. C’était juste un connard qui commençait à faire trop de grabuges et dont le Sir manquait de couilles pour s’en occuper lui-même. La sollicitation vient de plus haut, une dette de quelques années. Pas moyen de s’en tirer avec ces ministres, pires que des vautours. La comptabilité devrait recevoir le paiement dans les prochaines 48h. Ça sera tout. »
L’assistante fit mine de quitter avant d’hésiter et de se raviser.
« Une dernière chose, madame. Vous avez un message sur votre boîte personnelle. Ça semblait urgent. »
Son histoire |
Sofia retira ses gants, les jetant sur la table où une coupe remplie d’un liquide vermeil avait déjà été préparée à son intention pour étancher sa soif. L’homme, déjà assis, referma son carnet en cuir bruni. Elle entrevit des colonnes de chiffres, des montants à faire frémir un banquier suisse. À la lueur tamisée du luminaire murale, sa peau lui semblait plus grise que dans ses souvenirs, et ses yeux plus creux. Deux billes noires. L’abîme abritant le monstre.
« Est-ce une façon d’accueillir son créateur ? Après…quoi…une cinquantaine d’années loin de l’autre ? Je vois que tu as conservé mon cadeau. »
Sofia savait qu’il référait au Tokarev TT 33 modifié qui reposait dans son sac. Le même qui avait fait sauter la cervelle du gamin quelques heures plus tôt. Un souvenir de l’Armée rouge, presque sentimental, bien qu’absolument létal à courte distance, même pour un vampire. Un trophée d’une époque révolue. Elle sirota une longue gorgée avant d’écarter sa question par une autre.
« Comment se porte les hydrocarbures d’Azerbaïdjan ? J’ai entendu parler de troubles près de la mer Caspienne, je suppose que tu n’es au courant de rien. »
L’Immortel fit signe au serveur de les resservir, mais son sourire n’échappa pas à Sophia. Il s’amusait. Elle doutait que le Vampire et la Bête puissent se différencier aujourd’hui. Il était une relique refusant de tomber en poussière. Le respect, la crainte et la haine nourrissaient leurs rapports mutuels. Ils portaient tous les deux un autre nom au moment de leur rencontre, il y avait de cela bien longtemps. Bien des sabliers avaient été retournés depuis cette époque, mais leur clan se muait lentement ; seule l’avidité et l’effritement des puissances modifiant sa trajectoire.
« Je ne peux me plaindre de mon investissement. Mais je ne suis pas ici pour discuter de portefeuilles… ou remettre en question tes étranges passe-temps de…lobbyiste ? Jouer à la bourse ne te suffisait plus ? Je venais plutôt te parler d’étreinte. »
Sofia reposa sa coupe, nourrissant, le temps d’un instant, l’envie fugace de la briser sur le coin de la table pour mieux la plonger dans la pomme d’Adam de son interlocuteur. Une idée savoureuse qu’elle chassa d’un toussotement.
« N’étais-tu pas le premier à me marteler avec tes règles et tes principes sur la reproduction de notre espèce ? Je croyais que l’étreinte devait être aussi rare que le peu d’humanité qu’il te reste, qu’elle ne devait servir qu’à atteindre de plus hauts sommets. »
Elle le narguait, elle le défiait. Les régimes s’étaient succédé et la ville s’était transformée, mais les souvenirs du Saint-Pétersbourg de sa jeunesse, sous Catherine II, demeurait. Ses parents, aristocrates, avaient profité de l'âge d'or de la noblesse et du renforcement du système féodal, s’épanouissant dans ce nouveau centre du monde où la culture côtoyait la science dans une effervescence nouvelle. C’était à l’ombre du théâtre de l'Ermitage, accueillant ses premiers opéras, qu’elle avait rencontré l’Immortel. Un carnassier au milieu des écrivains et des intellectuels. Il lui avait fait la cour. Il l’avait conçue. Il lui avait arraché son humanité. Une fois toute parenté écartée, il ne restait que Lui pour prendre possession des biens familiaux, des titres et des serfs. Le parfait pâturage où engraisser le bétail.
Les siècles s’étaient écoulés et elle n’en gardait qu’un vague regret, la nostalgie d’une époque où l’Ordre était respecté, où le Voile ne risquait pas de se déchirer sous la pression de l’invasion techno, où elle ne sentait pas le souffle d’un certain département du FSB sur son cou… Certes, elle avait vécu de nombreuses nuits, une éternité, mais l’Étreinte demeurait le gouffre qu’elle ne pouvait franchir. Pas de nouveau. L’agonie. La Bête. Le sacrifice. Le fardeau de l’éducation d’un nouveau-né.
Elle préférait le simple acte de se nourrir, de rassasier la Bête. Sans attache. Choisir avec attention sa proie ; un repas fier et arrogant dont l’avenir reluisant tombait en cendres à chacun des baisers. Se sustenter devenait un plaisir, un outil, un podium où elle exposait ses trophées qui, inévitablement, se devaient de mourir. Faire ronronner la Bête en écrasant ces larves sous sa semelle.
« Nous sommes un clan capricieux, Sofia. Notre premier prédateur est un autre oligarque, nous nous menons à notre propre extinction. Le nier serait suicidaire. La rareté de nos Étreintes ne signifie pas sa complète vacuité. »
Elle se frotta les tempes, abandonner la vaine perspective de l’étrangler devant le personnel du restaurant. Discuter avec l’Orgueil même était un jeu dont les dés avaient été pipés bien avant sa création. D’ici un jour ou deux, il disparaîtrait, retournant à ses machinations. Il avait toujours de nombreuses ficelles à tirer.
« Le jour approche. Mon cher Duc, je te propose d’aller nous sustenter. L’avenue Nevsky a évolué depuis ton dernier séjour, mais la qualité de la nourriture y est la même. Exquise. »
D’un mouvement, ils se levèrent. Deux fauves à l’ombre des réverbères.
